La mystérieuse Dame d’Auxerre est-elle vraiment bourguignonne ?

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Statuette féminine dite « Dame d’Auxerre », vers 640 avant J.-C., vue de face, calcaire, 75cm de haut avec la plinthe. © 2006 Musée du Louvre / Daniel Lebée et Carine Deambrosis

Les origines de cette magnifique statuette antique, retrouvée en 1907 dans les réserves du Musée d’Auxerre, sont mystérieuses. Totalement anonyme à cette époque, elle est aujourd’hui l’une des œuvres antiques les plus connues au monde, et la parfaite représentation du style dédalique qui marque le renouveau de la statuaire grecque au VIIè siècle avant Jésus-Christ. Son séjour de quatorze années dans les réserves du Musée d’Auxerre lui valut son surnom. C’est pourtant en Crète vers 640-620 avant Jésus-Christ que cette œuvre aurait été sculptée. Retour sur l’histoire rocambolesque de la Dame d’Auxerre, qui n’a de bourguignon que le nom !

Une origine mystérieuse

L’histoire de cette statuette fut riche en rebondissements, et ce n’est qu’au prix d’une longue enquête historique et archéologique menée ces dernières années qu’elle s’éclaircit ! Tout commence en 1907 lorsque Maxime Collignon, grand professeur d’archéologie grecque à la Sorbonne, découvrit cette bien étrange statue lors d’une visite au Musée d’Auxerre. Elle était alors entreposée dans le vestibule et son style dénotait avec les autres vestiges archéologiques présentés, provenant de sites locaux. Intrigué, le professeur chercha sa provenance dans les archives et les registres du musée, en vain. La statue portait bien un numéro d’identification sur son socle, le 285, mais qui ne semblait pas avoir été apposé à Auxerre. De folles rumeurs commencèrent à voir le jour à son sujet. Ce n’est que bien plus tard que l’on retrouva la trace de cette statuette dans la vente de la collection parisienne du sculpteur Edouard Bourguin qui eut lieu en 1895 à Saint-Bris-le-Vineux, près d’Auxerre. L’artiste passa la fin de sa vie en Bourgogne. A son décès, en 1894, il laissa à sa femme « la maison rose » à Saint-Bris et sa collection.

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Statuette féminine dite « Dame d’Auxerre », vue de dos. © 2006 Musée du Louvre / Daniel Lebée et Carine Deambrosis

Un décor de théâtre plus vrai que nature

La statuette fut achetée lors de la vente par un dénommé Louis David, crieur du commissaire-priseur et concierge du théâtre municipal d’Auxerre, pour la modique somme d’un franc ! Il utilisa l’œuvre à maintes reprises comme décor d’opérette, notamment dans Galathée de Victor Massé, dont l’intrigue se joue dans l’atelier de Pygmalion ! Lassé de la voir, il la remisa dans une valise pour la jeter. L’œuvre fut sauvée de justesse et déposée au musée d’Auxerre. Le gardien, encombré par « ce caillou cassé » l’entreposa dans le vestibule, sans même l’enregistrer !

Échange de bons procédés

L’histoire continue puisque la Dame d’Auxerre quitta la Bourgogne en 1909, deux années après sa redécouverte. Elle fut déposée au musée du Louvre par M. Fourquaux, employé de la mairie d’Auxerre. Là-bas, elle y subit une restauration avant d’être exposée. Un décret du 3 juin 1909 précise que :

« le tableau de M. Harpignies Torrent dans le var du Musée National du Luxembourg est attribué en dépôt au Musée d’Auxerre en compensation d’une statuette primitive d’origine grecque affectée au Musée National du Louvre ».

Le musée du Louvre, où la Dame d’Auxerre est aujourd’hui conservée, et le musée d’Auxerre ont donc échangé les deux œuvres ! Il faut dire que le peintre Harpignies, un peu oublié aujourd’hui, est à ce moment là au sommet de sa gloire. L’artiste, encore vivant à cette période, avait de nombreuses attaches à Auxerre, avait demeuré à Bléneau, et mourut à Saint-Privé. Plusieurs fois médaillé aux Expositions universelles, il était spécialiste de la peinture de paysage dans une veine naturaliste et était surnommé le « Michel Ange des arbres » ! De plus, son tableau Torrent dans le Var, acheté par l’Etat au Salon de 1888, valait alors plus de six fois le prix de la statuette. Un échange qui peut paraître aujourd’hui regrettable pour le musée d’Auxerre !

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Henri-Joseph Harpignies, Torrent dans le Var, salon de 1888, peinture à l’huile sur toile, conservée au Musées d’Art et d’Histoire d’Auxerre, dépôt du musée d’Orsay. © Musée d’Orsay

Une statuette féminine

La statuette féminine appelée Dame d’Auxerre est une sculpture en calcaire. Elle mesure vingt-cinq centimètres de haut et repose sur une plinthe irrégulière de dix centimètres. Elle se tient debout, droite et frontale, la tête dans l’alignement du corps. Son bras gauche est plaqué le long de sa cuisse tandis que son bras droit est replié sur sa poitrine. Sa lourde chevelure étagée est inspirée des perruques égyptiennes et cinq mèches « parotides » reposent sur chaque épaule. Son visage en U laisse pointer un léger sourire. Elle est vêtue d’une robe fourreau serrée à la taille par une large ceinture, et ses épaules sont couvertes par une pèlerine. Le tout est décoré de motifs incisés : méandres au col, écailles sur le bustier et rectangles emboîtés au bas de la jupe, sans oublier quelques bracelets aux poignets. Le décor a perdu de son unité suite à l’effacement des couleurs qui la recouvraient, rendant difficile l’interprétation exacte des vêtements. Probablement enfouie durant une longue période, la statuette a également perdu une partie de son visage.

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Statuette féminine dite « Dame d’Auxerre », détail des motifs de la jupe. © R.M.N./H. Lewandowski

Une interprétation difficile

En l’absence d’information sur le contexte archéologique de sa découverte et de sa provenance, les archéologues ont du prêter attention au style et aux techniques employés pour identifier et dater l’œuvre. Ainsi on ne sait pas si elle ornait un sanctuaire, auquel cas elle pourrait représenter une divinité, ou simplement incarner une défunte si elle se trouvait dans une tombe ! On a même soupçonné la statuette d’être une copie du XIXè siècle, hypothèse aujourd’hui fermement rejetée !

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Coré 679, dite « en péplos », provenant de l’Acropole d’Athènes, vers 530 avant J.-C. Oeuvre représentative des statues de jeunes femmes vêtues, appelées corés, du style grec archaïque.

Les archéologues ont donc procédé par comparaisons. Le geste du bras replié sur la poitrine a ainsi été emprunté aux images syro-phéniciennes des déesses nues montrant leurs attributs sexuels. Il a ici été adapté à la création d’un nouveau type de représentation féminine habillée qui naît au VIIè siècle avant Jésus-Christ en Grèce : la corè. Son pendant, les statues de jeunes hommes nus, présentés eux aussi de manière frontale, un pied en avant, sont appelés kouroi. A eux deux, ils constituent la base de la statuaire grecque de la période archaïque (650 – vers 460). Les sculpteurs grec du VIIè siècle avant J.C. se sont donc nourris d’influences diverses, principalement venues d’orient et d’Égypte, pour élaborer un style répondant aux traditions locales, appelé aujourd’hui style archaïque.

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Kouros de Milo, milieu du VIè siècle avant J.-C., Athènes, Musée National. Les kouroi sont des statues de jeunes hommes nus typiques du style grec archaïque.

Une œuvre dédalique

La Dame d’Auxerre est représentative du style dédalique qui s’inscrit dans ce courant archaïque, et qui marque le renouveau de la sculpture sur pierre dans le monde grec dès le milieu du VIIè siècle avant notre ère. Le style se caractérise par la stricte frontalité des personnages, le visage en U et la lourde chevelure étagée divisée en mèches. L’expression d’ « art dédalique » a été utilisée pour la première fois en 1909 mais s’est véritablement imposée en 1936 avec la parution de l’ouvrage Dedalica dans lequel Jenkins classifie les œuvres de cette période en fonction d’une chronologie des formes qu’il établit avec une précision quelque peu illusoire! Cependant, sa démarche s’inscrit dans l’esprit positiviste de l’époque. En procédant par comparaisons entre les œuvres, les historiens et les archéologues établissent une chronologie basée sur la notion de progrès permanent des arts, prenant naissance avec des formes archaïques simples et allant vers une complexification permanente grâce aux progrès de la technique. Ces théories sont aujourd’hui encore en vigueur, mais avec davantage de nuances, en tenant compte notamment des contextes de production des objets (social, politique, historique…).

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Statuette féminine dite « Dame d’Auxerre », détail de la tête et du buste. © 2006 Musée du Louvre / Daniel Lebée et Carine Deambrosis

Dédale, inventeur mythique de la sculpture

Le mot dédalique vient du mythique Dédale, dont le nom signifie artisan. Ingénieur crétois, inventeur du fameux labyrinthe habité par le Minotaure, Dédale aurait eu le premier l’idée de détacher les jambes et les bras de ses sculptures, rompant avec les anciennes statues monolithiques. Il aurait ainsi insufflé la vie dans ses créations !

En affinant davantage les recherches, les archéologues ont finalement remarqué que le style dédalique n’était pas uniforme, mais marqué par des caractéristiques régionales ! Des fouilles sur l’antique cité d’Eleutherne, au Nord de la Crète, ont ainsi mis au jour des statues comparables à la Dame d’Auxerre qui aurait donc fait un bien long voyage, entre Eleutherne et Paris, en passant par la Bourgogne !

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Statue de Nicandré, trouvée à Délos, milieu du VIIè siècle avant J.-C., Athènes, musée National. La statue de Nicandré fut la première oeuvre comparable à la Dame d’Auxerre trouvée par les archéologues et permit d’affiner sa provenance.

La Dame d’Auxerre est aujourd’hui visible dans la section des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre à Paris.

Promenons-nous dans les bois… cadoles et meurgers en Bourgogne

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Cadole incluse dans un meurger, Parc de la Combe à la Serpent près de Dijon en Côte-d’Or. Photo Wikimédia Commons

Cadoles et meurgers sont nombreux en Bourgogne ! Ce patrimoine vernaculaire, petit patrimoine témoin de la vie quotidienne de nos campagnes d’autrefois, nous entoure sans que nous y prêtions vraiment attention. Et pourtant…

Un élément déterminant du paysage viticole bourguignon

Les cadoles et les meurgers sont des constructions en pierres sèches. On les rencontre particulièrement sur les côtes viticoles de Bourgogne, principalement dans l’Yonne, en Côte-d’Or et en Saône-et-Loire, partout où il a été nécessaire d’épierrer les sols pour y cultiver la vigne. Les cadoles sont de petites cabanes qui servaient d’abri pour les vignerons lors des intempéries, de lieu de casse-croûte, de remise à outils, mais aussi de cache pour les malades contagieux en quarantaine ou les maquisards et contrebandiers en fuite. Les meurgers sont des murets délimitant les parcelles de vignes. Abritant les vignes du gel, ils contribuaient à la création d’un climat favorable aux parcelles dont la faune locale bénéficiait également. Ils empêchaient par ailleurs les chèvres et moutons de ravager les terres cultivées et permettaient aux eaux de pluie de s’écouler normalement, tout en retenant la terre des parcelles souvent en pente.

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Cadole près de Montceaux-Ragny dans le tournugeois, restaurée en 2011.

Des appellations multiples

Les cadoles se rencontrent un peu partout en France, mais c’est surtout dans le centre, le sud et l’est que ces petites cabanes sont les plus nombreuses ! Leur nom varient d’une région à l’autre : barracuns en Corse, borries dans le Midi, cabornes dans le Lyonnais, capitelles dans le Gard et l’Héraut, gariottes en Dordogne, loges dans le Berry… Rien qu’en Bourgogne elles ont différentes appellations : cadoles mâconnaises, cabordes du tonnerrois, borniottes, cabottes, cabiottes, et même loges ou louèges en avallonais. Le terme meurgers, le plus employé en Bourgogne pour désigner les murets, connait lui aussi des variantes. L’écrivain auxerrois Rétif de la Bretonne utilisait indifféremment dans ses ouvrages, notamment dans La Vie de mon père publié en 1779, les termes merger, meurger ou encore murger. Le mot est issu du patois bourguignon qui tire son origine du mot gaulois « morg » qui signifie « limite ».

Origine des cadoles et meurgers

Malgré leurs appellations qui divergent, les cabanes et murets ont une caractéristique commune, leur système de construction en pierres sèches. Elles trouvent en effet leur origine dans les pierres retirées des vignes pour les cultiver, et entassées au bord des champs. Ainsi, les premiers moines défricheurs du XIè siècle construisaient déjà des meurgers ! Les cadoles sont apparues plus tardivement, probablement au XVIIIè siècle, quand l’augmentation démographique de la population obligea les paysans à défricher de nouvelles terres pour les rendre cultivables. Après le défrichage, suivait le minage, c’est-à-dire l’épierrement de la parcelle. Les pierres ramassées étaient transportées dans des hottes en osier puis déposées aux bords des champs, formants de véritable pierriers (tas de pierres). Monter des murets ou des cabanes avec ces pierres permettaient de les évacuer et d’éviter l’effondrement des tas.

Murger sur la colline de Montceau
Murger sur la colline de Montceau près de Tournus, en Saône-et-Loire.

Un puzzle grandeur nature

La construction en pierre sèche est un art délicat. Les pierres sont assemblées les unes sur les autres par un jeu subtil d’équilibre et de pression, sans aucun mortier. Elles sont maintenues en place par leur propre poids. Les paysans à l’origine des ces petits édifices se transmettaient les méthodes de construction de génération en génération. Ils parvenaient même à édifier de petites coupoles composées uniquement de laves !

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Laves extraites en Bourgogne.

Les laves de Bourgogne

Les lauzes, pierres calcaires plates, appelées laves en Bourgogne, larges mais peu épaisses, sont particulièrement appropriées à la construction en pierres sèches ! Les laves de Bourgogne sont extraites de formations géologiques datant du jurassique ! Formées il y a environ 165 millions d’années par les courants marins qui ont façonné la pierre en fines plaquettes, les laves contiennent souvent des incrustations de petits végétaux fossiles ou de coquillages.

Typologie des cadoles

Les cadoles sont généralement de petite taille, pouvant abriter une ou deux personnes assises ou accroupies. Construites par les paysans autodidactes à la morte saison, les cabanes relèvent de mode de construction non professionnels. Aussi, il est impossible de trouver deux cadoles identiques ! Cependant on en distingue plusieurs types selon qu’elles présentent un plan rond, ovale, en quadrilatère ou en polygone. Les cadoles peuvent contenir quelques aménagements intérieurs comme une niche ou un banc de pierre. Les plus grandes étaient équipées d’une véritable cheminée tandis que les plus sommaires se contentaient d’un trou au sommet pour évacuer les fumées du foyer. L’ouverture unique était généralement aménagée vers l’est, à l’opposé de la pluie. Elles sont souvent adossées ou incluses dans des murgers.

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Cadole de plan quadrangulaire, Parc de la Combe à la Serpent près de Dijon, Côte-d’Or.

Un abandon progressif

La grave crise du phylloxera qui toucha le vignoble bourguignon dès 1875 marqua le début du déclin des meurgers et cadoles, encore agravé par la désertion des campagnes lors de la Première Guerre Mondiale, et la modernisation du travail de la vigne à partir des années 1920. De nombreuses structures en pierres sèches ont disparues depuis cette époque, souvent par manque d’entretien faute de temps et de savoir-faire technique. D’autres, en ruines, sont encore visibles au milieux de parcelles où la forêt à repris le pouvoir. La plupart ont aujourd’hui perdu leur toiture.

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Cadole dans la végétation à Lugny dans le Mâconnais.

Recensement et protection

Depuis quelques années ce petit patrimoine paysan attire de nouveau l’attention. Un peu partout des associations se sont constituées pour les recenser et les protéger. Dans le Vézelien, l’association « Cabanes, meurgers et murets du Vézelien » à recensé pas moins de deux cents cabanes réparties sur les quatre villages du vignoble et en a restauré une quinzaine. En Saône-et-Loire, l’association « Village et Environnement » en a recensé une quinzaine autour de la colline de Montceau. L’association « Les Cadeules de Martailly » a dressé une liste de cent vingt cabanes sur le territoire de la commune. Près de Tournus c’est une cinquantaine de cadoles qui ont été inventoriées. Les communes de Mancey et de Plottes ont d’ailleurs conçu des sentiers de découverte des cadoles.

Et vous, avez-vous des cadoles et meurgers près de chez vous ?

« Quand l’enfant paraît », coup de projecteur sur l’enfant dans les collections des musées d’Auxerre

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Portrait d’un jeune garçon jouant à l’émigrette (portrait présumé de Louis-Charles, dauphin de France, futur Louis XVII, second fils de Louis XVI et Marie-Antoinette), attribué à Louise-Elisabeth Vigée-Le Brun, huile sur toile, fin XVIIIè siècle. Coll. Musées d’Auxerre.

Une exposition-dossier

Depuis un an, les musées d’Art et d’Histoire d’Auxerre ont entrepris de mettre en valeur les oeuvres habituellement peu exposées au public par de petites, mais fort intéressantes, expositions-dossiers. Dans cette nouvelle exposition temporaire sise dans le Logis de l’Abbé de l’Abbaye Saint Germain, « Quand l’enfant paraît », c’est la place de l’enfant dans l’art et dans la société qui est examinée.

Le statut de l’enfant

« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, Se dérident soudain à voir l’enfant paraître, Innocent et joyeux. »

La première strophe de ce poème de Victor Hugo publié en 1831 dans le recueil Les feuilles d’automne, et qui a inspiré le titre de cette exposition, n’a pourtant pas toujours été le reflet de la place des enfants dans la société. En effet, chaque époque posa son propre regard sur l’enfance. Les peintres, sculpteurs et graveurs furent les témoins de cette évolution dans leur art…

Oeuvres choisies

Les musées d’Auxerre ont puisé dans leurs collections de quoi illustrer le thème à différentes époques, sans toutefois l’épuiser. On y découvre avec émerveillement de belles toiles, des œuvres attribuées à de grands maîtres tels Emile Bernard ou encore Elisabeth Vigée-Le Brun, connue pour être l’une des premières femmes artistes professionnelles au XVIIIè siècle. On peut également y admirer deux œuvres d’Eugène Carrière, le peintre de l’enfance par excellence sous la IIIè République ! Quelques pièces touchantes rappellent l’intimité du thème, comme ce rare biberon gallo-romain en terre cuite ou ces quelques pièces de vaisselle à jouer en grès.

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Maternité, Eugène Carrière, XIXè siècle, toile. Coll. Musées d’Auxerre.

Quelle place pour l’enfant ?

Au Moyen Age

Longtemps, l’importante mortalité infantile et en couche conféra un statut à part au jeune enfant auquel on s’attachait peu avant qu’il n’ait atteint une certaine résistance physique. Dès lors, il constituait une force de travail. L’enfant ne possédait pas de statut particulier, il était plutôt considéré comme un petit adulte. Dans l’art médiéval, la représentation de l’enfant fut presque exclusivement réservé à l’Enfant Jésus et empreinte de religiosité. L’image de l’enfant était alors soumise aux codes de la peinture religieuse et ne reflètait pas sa place réelle dans la société.

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La Vierge et l’Enfant Jésus, école de Luini Bernardino (1475-1532), XIVe – XVe siècles, huile sur toile. Coll. Musées d’Auxerre.

A la Renaissance

Il fallut attendre la Renaissance et les penseurs humanistes pour que l’on s’intéresse véritablement à l’enfant dans lequel on perçut alors un être à part entière. L’éducation des princes devint une priorité et un luxe des milieux aisés mais concerna surtout les garçons ! Le portrait d’enfant devint un genre en vogue dans la noblesse. Les jeunes princes de toutes les grandes familles européennes posèrent face aux peintres. Loin d’être réalistes, ces tableaux avaient pour vocation de présenter la descendance et d’attester des capacités à gouverner. L’enfant est perçu comme le maillon d’une lignée.

A l’époque moderne

Les sciences de l’éducation naquirent à l’époque des Lumières sous l’impulsion de grands penseurs tels Jean-Jacques Rousseau, et grâce à la réunion de plusieurs facteurs. La baisse des naissances, les progrès de l’hygiène et de la médecine, le recul de la mortalité infantile, le développement de la bourgeoisie lié à l’essor économique favorisèrent l’émergence de l’idée que l’enfance est une période privilégiée dans la vie des individus. Rousseau loua les qualités naturelles des enfants à leur naissance, et encouraga à les développer par une éducation adaptée et moins punitive destinée à favoriser leur épanouissement. Cependant, jusqu’au XIXè siècle, en pleine Révolution industrielle, l’enfant des catégories modestes et pauvres représentait une main d’oeuvre peu couteuse qui fut largement utilisée dans les mines et les usines.

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Jeux d’enfants à Paris au parc Monceau, Albert Braut, début du XXè siècle, huile sur toile. Coll. Musées d’Auxerre.

Dans le Paris du baron Haussmann, en cette seconde moitié du XIXè siècle, les jeux d’enfants dans les nouveaux parcs de la capitale, lieux de confort, de respiration et d’hygiène dans la ville moderne, ainsi que les balades des nourrices firent l’objet de toutes les attentions des peintres ! La troisième république (1870-1940) est souvent associé à la reconnaissance du statut juridique de l’enfant avec l’instauration de l’école laïque obligatoire en 1882 par la loi Jules Ferry. L’école de la République doit garantir l’accès aux enfants de tous les milieux à une instruction commune. A partir de 1841, le travail des enfants fut réglementé, pour protéger les plus jeunes. La première loi fixait l’âge minimum du travail à huit ans et le limitait à douze heures par jour. L’âge légal sera progressivement repoussé jusqu’en 1959 où il fut fixé à seize ans ! Plusieurs types d’enfants firent leur apparition en peinture : l’enfance laborieuse des rues ou au travail, et l’enfant choyé des milieux bourgeois, entre solitude et amour maternel, constituèrent des figures récurrentes des tableaux impressionnistes.

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Une maîtresse d’école, Jean-Baptiste-Marie Pierre, 1741, huile sur toile. Coll. Musées d’Auxerre.

Au XXè siècle l’enfant acquit un statut privilégié et fit l’objet de toutes les attentions dans les foyers. L’amour maternel est alors loué par la société et érigé en exemple d’éducation. Françoise Dolto ou Philippe Ariès ont contribué au développement de la pédopsychiatrie et d’une science de l’enfance approfondie. Aujourd’hui encore, la famille est au cœur des enjeux de société et l’enfant est devenu roi !

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Les enfants de l’artiste, Emile Bernard, 1916, huile sur toile. Coll. Musées d’Auxerre.

« Quand l’enfant paraît » Exposition temporaire du 24 janvier au 2 mars 2015 au Logis de l’Abbé à l’Abbaye Saint-Germain d’Auxerre. Visite gratuite du mercredi au dimanche, de 14h à 17h.

A visiter en famille !

Piquante Bourgogne ! Histoire et actualité de la Moutarde de Dijon

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Affiche publicitaire Moutarde de Dijon de l’entreprise Charles Dumont à Dijon, Jobard (imprimeur), chromolithographie sur papier, 1904. Musée de la vie Bourguignonne Perrin de Puycousin, Dijon (cliché F. Perrodin)

Du grain à moudre

La moutarde est une graine appelée sénevé du genre Brassica ou Sinapis. Plusieurs variétés de sénevé existent, dont quatre sont couramment employées pour la fabrication de la moutarde : la moutarde des champs, la moutarde blanche, la moutarde noire et la moutarde brune, une variété hybride créée au début du XXè siècle, la plus utilisée actuellement pour fabriquer le précieux condiment. Jusqu’en 1945 on cultivait la graine de moutarde en Bourgogne, principalement dans les bois et les clairières à charbon du Morvan et de l’Auxois. En effet, les déchets des fourneaux à charbon de bois étaient particulièrement riches en potasse. Semés après cuisson du charbon, il favorisaient la pousse des pieds de moutarde, dont la récolte était ensuite vendue aux fabricants dijonnais. Mais avec la disparition des charbonniers, il fallut se fournir en dehors de la Bourgogne (Marne, Somme, Loiret…). Aujourd’hui, plus de 80% des graines utilisées pour la fabrication française sont importées du Canada. L’Association Moutarde de Bourgogne ainsi que la région tentent aujourd’hui de réintroduire la culture de la graine de sénevé en Bourgogne !

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Moutarde des champs, planche botanique, chromolithographie sur papier, 1881. Musée de la vie bourguignonne Perrin de Puycousin, Dijon (cliché F. Perrodin)

Une histoire relevée

L’utilisation de la moutarde est très ancienne. Les chinois la cultivaient déjà il y a trois mille ans. Les égyptiens, les grecs et les romains l’utilisaient durant l’Antiquité pour la cuisine mais aussi pour la médecine. Dans plusieurs civilisations elle servit comme antiseptique, mais également contre le rhume, les rhumatismes et les éruptions cutanées, notamment sous forme de cataplasmes. La moutarde fut aussi utilisée pour atténuer les troubles respiratoires, les douleurs de sciatique et comme décongestionnant des bronches. La graine de moutarde écrasée servait également d’épice, au même titre que la coriandre ou le poivre, plus cher et rare. Elle était également utilisée pour la conservation des aliments. Durant l’Antiquité, la moutarde était déjà consommée sous forme de pâte confectionnée avec des graines écrasées, du vinaigre, de l’huile et du miel. Cette recette sera utilisée jusqu’au Moyen Age. Au Moyen Age, la pâte de moutarde était consommée comme condiment, pour relever les plats et les sauces. Dans chaque épicerie de village on fabriquait sa propre moutarde en écrasant les graines et en les mélangeant avec du verjus. A la Renaissance la moutarde était très consommée notamment pour ses vertus digestives, et devint un accompagnement raffiné aux différents mets. Elle accompagnait d’ailleurs les banquets princiers en généreuses quantités ! L’écrivain et médecin François Rabelais caricatura dans son ouvrage Gargantua, publié en 1534, les excès de ces repas et la consommation de la moutarde :

« Etant naturellement flegmatique, il commençait son repas par quelques dizaines de jambons, de langues de bœuf fumées, de cervelas, d’andouilles et tels autres avant-coureurs de vin. Pendant ce temps, quatre de ses gens lui jetaient dans la bouche, l’un après l’autre et sans cesse de la moutarde à pleines palerées ; après quoi, il buvait un honorifique trait de vin blanc pour lui soulager les rognons. »

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Un repas du jeune Gargantua, Gustave Doré, gravure pour les oeuvres de Rabelais, 1851.

La profession s’organisa à Paris en 1351 et à Dijon quelques années plus tard en 1390. La confection de la moutarde se confondait, à cette période, avec d’autres professions telles que celle des vinaigriers, sauciers, huiliers ou marchands de vin. Il fallut attendre le XVIIè siècle pour qu’une véritable corporation vit le jour en Bourgogne. Les vinaigriers-sauciers-moutardiers furent dotés de statuts et honoraient Saint-Vincent, le patron des vignerons. On fabriquait alors de la moutarde dans plusieurs régions : Paris, Besançon, Saint-Maixent… mais aussi en Angleterre. Au XVIIIè siècle la concurrence se resserra entre Paris et Dijon, les deux grands centres de production de moutarde. Bodin et Maille étaient alors les deux grandes maisons parisiennes. A Dijon, la famille Naigeon se fit connaître dans l’art de fabriquer la moutarde. La production s’industrialisa au XIXè siècle où de nombreux procédés et machines furent inventés pour augmenter la rapidité de production. On inventa également de nouvelles recettes pour mieux rivaliser, c’est la naissance des moutardes aromatiques. Le XXè siècle vit disparaître les petits producteurs de moutarde au profit des grandes entreprises comme Maille, Amora ou Grey-Poupon.

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En Bourgogne – Moutarde Parizot, Dijon – 2è Atelier de fabrication, Louys Bauer, carte postale. Musée de la vie Bourguignonne Perrin de Puycousin, Dijon (cliché F. Perrodin)

Méthode de fabrication

La moutarde est obtenue par broyage des graines de sévevé mélangées initialement à du moût (jus de raisin non fermenté obtenu lors de la première étape de vinification). On remplaça ensuite le moût par du verjus (jus de raisin vert acide) puis par du verjus moderne dès la fin du XIXè siècle, c’est-à-dire un mélange de vinaigre, d’eau et de sel. La fabrication de la moutarde nécessite plusieurs étapes de fabrication. Le nettoyage des graines permet d’abord d’éliminer les poussières et impuretés. Les graines sont ensuite trempées dans le verjus dont elles s’imprègnent. Cette étape favorise la séparation entre l’amande et l’écorce de la graine. Les graines mouillées sont ensuite broyées traditionnellement entre deux meules de pierre, l’une gisante munie de sillons permettant d’évacuer la pâte, et l’autre tournante. La pâte obtenue est ensuite tamisée (ou blutée) à travers une toile métallique pour éliminer le son. Cette étape est supprimée dans la fabrication de la moutarde à l’ancienne. La pâte repose ensuite quelques jours en fût. Lors de cette étape, une réaction chimique naturelle permet à l’essence de moutarde de se libérer. La moutarde perd alors son amertume. Elle est ensuite conditionnée et expédiée. L’entreprise Fallot, installée à Beaune depuis 1928, est l’une des dernières fabriques de moutarde artisanale grâce à l’utilisation de meules de pierre qui préservent les qualités gustatives de la moutarde en évitant l’échauffement de la pâte, contrairement à la production industrielle.

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Pot à moutarde, Faïencerie de Digoin & Sarreguemines, faïence fine et porcelaine opaque, fin XIXe – début XXe siècles. Musée de la vie Bourguignonne Perrin de Puycousin, Dijon (cliché F. Perrodin)

Longtemps, les pots de moutarde étaient fabriqués en faïence et faisaient l’objet d’un beau décor où s’affichait fièrement la marque de fabrication permettant aux consommateurs de vérifier son origine. A partir de 1900, des emballages fantaisistes furent vendus : verre, sceau, broc aux effigies de personnages connus qui attiraient l’attention des clients et des enfants ! L’entreprise Maille perpétue la tradition des pots réutilisables. La boutique de Dijon propose de jolis pots en grès rechargeables en magasin grâce aux pompes à moutarde !

Pourquoi la moutarde en Bourgogne ?

Terre de vignoble, la Bourgogne pouvait fournir le vin nouveau ou le vinaigre nécessaires à la fabrication de la moutarde. Région calcaire et boisée, terre de charbonniers, la Bourgogne était aussi propice à la culture de la graine de sénevé. Province gourmande, tournée vers la gastronomie et les plaisirs de la table, la Bourgogne fit rapidement de la moutarde l’une de ses spécialités.

Origine du mot

Plusieurs hypothèses, plus ou moins fantaisistes, tentent d’expliquer l’origine du mot « moutarde ». Il pourrait provenir du latin mustum ardens qui signifie « moult ardent » en raison du piquant de la moutarde. Une autre explication, plus drôle, évoque le rôle de Charles VI, qui en remerciement des bons et loyaux services de ses fidèles Dijonnais, leur donna des armes et un cri qui serait devenu la devise de la ville de Dijon, inscrite sur un étendard :  » MOULT ME TARDE « . Mais les bourguignons ne lurent que MOUTARDE et pensèrent avoir affaire à la troupe des moutardiers de Dijon.

La moutarde aujourd’hui

En 1937 un procès opposa les moutardiers de Paris à ceux de Dijon. L’appellation « Moutarde de Dijon » fut alors créé, complétée par un décret en 2000. Elle désigne simplement une recette particulière et peut donc être fabriquée partout dans le monde. Pour bénéficier de cette appellation, la moutarde doit se présenter sous forme de pâte, fabriquée avec des produits blutés, c’est-à-dire que les graines sont passées au tamis pour éliminer les impuretés, appelées téguments. Pour pallier à cette absence d’appellation d’origine, une IGP (Indication géographique protégée) a été créée en 2004 sous le nom de « Moutarde de Bourgogne ». Elle désigne un produit fabriqué à partir de graines de moutarde cultivées en Bourgogne et de verjus à base de vin de Bourgogne. Elle permet aux consommateurs d’y voir plus clair.

Recettes autour de la moutarde

Voici une recette de cuisine proposée sur le site internet de la moutarderie Fallot à Beaune pour mettre en valeur ce beau produit !

poulet estragon
Fricassée de Volailles à la moutarde à l’estragon, recette proposée par la moutarderie Fallot sur le site http://www.fallot.com ©Fallot

Fricassée de volailles à la Moutarde à l’estragon Ingrédients : 1 poulet d’1,200 kg 30 g de farine 80 g de beurre 100 g de petits oignons blancs 2 dl de bouillon de volaille 1 bouquet garni 1 dl de crème fraîche 2 cuil. à soupe de moutarde à l’estragon Estragon haché Sel, poivre. Préparation : Découper le poulet. Assaisonner et fariner les morceaux. Les faire colorer légèrement dans une cocotte avec le beurre chaud. Ajouter les petits oignons. Mouiller avec le bouillon de volaille. Adjoindre le bouquet garni. Porter à ébullition. Laisser cuire 35 minutes. Retirer les morceaux de poulet et les petits oignons dans le plat de service. Réserver au chaud. Faire réduire la sauce. Ajouter la crème, la moutarde. Porter à ébullition. Rectifier l’assaisonnement. Napper les morceaux de poulet et parsemer d’estragon haché.

Moutarde au safran

Joël Patin est safranier en côte d’Or ! Depuis quelques années, il contribue à réintroduire cette épice fragile et délicate, utilisée depuis l’antiquité, dans la région. Sur son site Le Safran des Aulnes il propose de faire sa propre moutarde au safran. Pour cela il suffit d’incorporer 0,4 grammes de safran en pistil dans un pot de 100 grammes de bonne moutarde !

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Cuiller à moutarde, Joseph II Dargent (orfèvre), argent, 1779-1780.Musée de la vie Bourguignonne Perrin de Puycousin, Dijon (cliché F. Perrodin)

A visiter

Si le musée de la Moutarde Maille à Dijon a fermé ses portes suite au rachat de la marque par le groupe Unilever en 2009, vous pouvez encore découvrir l’espace muséographique de la Moutarderie artisanale Fallot à Beaune, mais aussi les espaces de fabrication, et même faire une dégustation. Le Musée de la Vie Bourguignonne Perrin de Puycousin à Dijon conserve de nombreux objets relatifs à l’histoire et à la fabrication de la moutarde, que vous pourrez découvrir dans ses salles d’expositions. Certains ont permis d’illustrer cet article.

Bonne dégustation !

Les douze travaux d’Eugène Viollet-le-Duc en Bourgogne

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Portrait d’Eugène Viollet-le-Duc, Nadar, négatif verre au collodion, 19è siècle. Conservé à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. ©Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Atelier de Nadar

Un architecte de renom

Eugène-Viollet-le-Duc est un architecte français du XIXè siècle très connu des spécialistes pour avoir fondé une nouvelle discipline : la restauration du patrimoine ! On lui doit en effet la remise en état de grands édifices médiévaux tels que la Cathédrale Notre-Dame de Paris, la basilique royale de Saint-Denis, ou encore la cité fortifiée de Carcassonne. Pourtant, ses travaux demeurent peu connus du grand public. Né en 1814 à Paris, et mort en 1879 à Lausanne, l’homme possédait une sorte de génie et d’indépendance d’esprit qu’il ne voulut pas corrompre par une formation académique. Il refusa d’entrer à l’Ecole des beaux-arts et se forma à l’architecture en assistant Achille Leclère, mais surtout en parcourant la France et l’Italie durant ses jeunes années, afin d’observer sur place les monuments et d’en percer les secrets. Parcourant la Bourgogne de 1840 à 1879, ce ne sont pas douze mais bien quatorze chantiers de restaurations que mena l’architecte dans la région. Sans compter les quelques chantiers de construction qu’il y dirigea ! Immersion dans l’immensité de son oeuvre…

La naissance du patrimoine

Le travail de l’architecte s’inscrit dans le contexte particulier du XIXè siècle. Après le grand désordre de la Révolution Française, les différents régimes politiques a se succéder cherchèrent tous la réconciliation nationale. Le vandalisme de la Révolution a engendré la prise de conscience de l’existence d’un patrimoine français qui avait largement souffert. La volonté de remettre à l’honneur les grands édifices symboliques, et la génération romantique de 1830, conduite par Victor Hugo, aboutirent à la mise en place d’un appareil d’Etat en faveur des Monuments historiques. Le poste d’Inspecteur des Monuments Historiques fut créé en 1830, bientôt occupé par l’écrivain Prospère Mérimée, qui parcouru la France pour en répertorier les richesses. La Commission des Monuments historiques, créée en 1837, établit sur ses recommandations dès 1840 une liste de mille monuments en attente de restaurations urgentes. C’est la première liste des « monuments classés ».

Les chantiers de restauration

La Bourgogne attira très tôt l’attention de l’Inspecteur des Monuments historiques et du Ministère de l’Intérieur. Dès 1840, Viollet-le-Duc, jeune architecte de vingt-six ans qui ne possédait encore aucune expérience du terrain, fut appelé par Mérimée pour sauver l’église de la Madeleine à Vézelay, chef-d’oeuvre de l’art roman et étape incontournable du pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Dans un courrier au Ministre de l’Intérieur quelques années auparavant, Mérimée témoignait de l’état inquiétant de l’édifice :

« Il me reste à parler des dégradations épouvantables qu’a subies cette magnifique église. Les murs sont déjetés, pourris par l’humidité. On a peine à comprendre que la voûte toute crevassée subsiste encore. Lorsque je dessinais dans l’église, j’entendais à chaque instant des petites pierres se détacher et tomber autour de moi… enfin il n’est aucune partie de ce monument qui n’ait besoin de réparations… Si l’on tarde encore à donner des secours à la Madeleine, il faudra bientôt prendre le parti de l’abattre pour éviter des accidents ».

Vézelay
Vézelay, Eglise de la Madeleine. Elévation de la façade ouest, état avant restauration, Eugène Viollet-le-Duc, aquarelle sur papier, 1840. Conservée à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. ©RMN Grand Palais / Gérard Blot

Sur ce chantier pharaonique, refusé par plusieurs architectes avant lui, Viollet-le-Duc engagea la reconstruction des contreforts et des arcs-boutants de la nef, reprit entièrement les combles et les couvertures, et reconstruisit les voûtes de la nef et des collatéraux. Il engagea également la consolidation des fondations de l’édifice et prit le parti de reconstruire entièrement trois voûtes de la nef datées du XIVè siècle pour les rétablir dans un style roman antérieur. Il entreprit ensuite la restauration des bâtiments adjacents à l’église. Le cloître qui jouxtait l’édifice ayant entièrement disparu, c’est l’ensemble des structures qui étaient fragilisées. Le chantier, qui dura presque vingt ans, fut le plus long et le plus prestigieux de Viollet-le-Duc en Bourgogne.

élévation façade sud vézelay
Vézelay, Elévation de la façade sud de l’église de la Madeleine, état avant restauration, aquarelle sur papier, 1840. Conservée à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. ©Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / image RMN-GP

Mais d’autres édifices bourguignons retinrent son attention. En 1845 et 1846, l’architecte entama plusieurs campagnes de restaurations sur les monuments d’Auxerre. La crypte de la Cathédrale Saint-Etienne fut pour lui d’un intérêt majeur. Elle recèle en effet des peinture murales exceptionnelles datées du XIè siècle, telle la figure du Christ à cheval entouré des quatre évangélistes, unique en Europe. Dans la crypte, il s’appliqua à rétablir toutes les parties altérées pour retrouver un état originel de l’édifice (réduction des ouvertures agrandies, consolidation des piliers endommagés, rétablissement des murs ruinés). Il fit par ailleurs aménager le sol nivelé par la création d’emmarchements et installa un dallage.

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Auxerre, cathédrale Saint-Etienne, projet de restauration de la crypte. Plan, coupe longitudinale, détail d’un chapiteau du cul-de-four, vue de la chapelle de l’abside, détail de la peinture du berceau, Viollet-le-Duc, aquarelle, encre de chine et lavis, 1844. Conservé à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. ©Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / image RMN-GP

A la même époque il entreprit, à quelques pas de la cathédrale, la restauration de la galerie romane de l’ancien palais épiscopal qui abrite les services de la Préfecture de l’Yonne. Il détruisit les combles de la toiture de la galerie pour y aménager une terrasse, rehaussa l’ensemble de quelques centimètres pour l’aligner avec les appartements du préfet, et installa un garde-corps gothique à trilobes, retenu par une corniche à modillons de style bourguignon.

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Photographie de la galerie romane de l’ancien palais épiscopal, Préfecture de l’Yonne, Auxerre.

A Sens, un autre édifice enthousiasma l’architecte hyperactif. Ce fut le palais synodal, implanté en face du palais épiscopal et de la Cathédrale. Pour ce chantier, Viollet-le-Duc prit de grandes libertés, qu’il justifia sur la base des fouilles archéologiques menées et des éléments retrouvés sur place. Afin de consolider l’édifice, il créa une série de piles internes au second niveau destinées à soutenir les voûtes d’ogives, il implanta des tourelles d’angle à créneaux, refit entièrement la toiture qu’il recouvrit de tuiles vernissées dont les coloris s’inspiraient des motifs retrouvés sur place, recréa les verrières et les peintures murales, et façonna des cheminées.

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Elévation de la façade sur la place, projet de restauration de la salle Synodal de Sens, Viollet-le-Duc, aquarelle sur papier. Conservé à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. ©Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / image RMN-GP

Entre 1840 et 1865 Viollet-le-Duc entama pas moins de quatorze chantiers en Bourgogne. Hormis ceux déjà évoqués, il travailla à l’église Saint-Andoche de Saulieu (1842-1847), à l’église Notre-Dame de Saint-Père-sous-Vézelay (1842-49), à la collégiale Notre-Dame de Semur-en-Auxois (1843-52) et aux tours du donjon de la même ville (1848-49), aux vitraux de l’église de Saint-Florentin, à l’église Saint-Genest de Flavigny-sur-Ozerain (1844-48) et à la porte fortifiée de la ville, à la collégiale Notre-Dame de Beaune (1844-45), à la porte antique Saint-André d’Autun (1844-50), aux vitraux de la collégiale Saint-Pierre de Saint-Julien-du-Sault (1846-54), à la prieurale de Saint-Thibault-en-Auxois (1845-47) et à l’église de Montréal dans l’Yonne (1845-52). La Bourgogne fut un véritable laboratoire d’expérimentation pour le jeune architecte qui se nourrit de cette expérience pour rédiger ses multiples ouvrages sur l’architecture médiévale, qui font encore aujourd’hui référence.

Un travail méthodique

Viollet-le-Duc était doté d’une grande perspicacité et fit preuve de rapidité dans son travail. Il mena de front plusieurs chantiers simultanément, dans toute la France, et entretint une correspondance soutenue. Il voyageait même la nuit pour gagner du temps ! Tout cela n’aurait pas été possible sans une grande organisation sur ses chantiers. La démarche adoptée était toujours la même. Il était missionné par la Commission des Monuments pour se rendre sur un chantier et établir un rapport détaillé de son état sanitaire. Sur place il faisait des observations et des croquis plus ou moins précis selon les circonstances. De retour à son cabinet parisien, l’architecte reprenait ses dessins qu’il détaillait et mettait en couleur de manière fantaisiste, n’hésitant pas à réinventer la réalité archéologique. Il rédigeait ensuite un rapport, accompagné d’un devis. Après acceptation du devis par les autorités, et le déblocage des fonds nécessaires, le chantier démarrait. C’est grâce à la rapidité de son travail de repérage et de conception des chantiers que Viollet-le-Duc a su emporter l’adhésion de Mérimée et de la Commission des Monuments, obtenir les subventions nécessaires, et mener à terme tant de projets urgents.

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Tympan du portail central de la façade occidentale, église de la Madeleine à Vézelay, Viollet-le-Duc. Conservé à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. © Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Henri Graindorge

Pour gérer les chantiers au quotidien et en son absence, Viollet-le-Duc missionnait sur place un inspecteur des travaux, chargé de relayer ses ordres et de surveiller les hommes du chantier, tels que Comynet ou Emile Amé pour la Bourgogne. Il recrutait également des entrepreneurs, généralement locaux, et des ouvriers. Ce ne sont pas moins de trente-cinq métiers différents qui se croisaient sur ses chantiers : maçons, couvreurs, tuiliers, charpentiers, marchands de bois, marchands de fer, menuisiers, forgerons, plombiers, serruriers, peintres sur verre, sculpteurs, tailleurs de pierre… Loin d’occuper un simple rôle technique d’expert, Viollet-le-Duc était un véritable médiateur entre le chantier et les entrepreneurs, l’Etat, et les autorités locales, souvent réticentes aux travaux.

Viollet-le-Duc bâtisseur

Son expérience des chantiers de restauration en Bourgogne poussa l’architecte a entamer des chantiers de construction d’édifices modernes. Il fut notamment choisi pour bâtir une nouvelle église à Aillant-sur-Tholon, répondant à la volonté des élus locaux d’aménager la place centrale du bourg. Il construisit également la Maison des Caves-Joyaux à Autun, destinée à abriter le gardien du site du théâtre antique, l’aile orientale du cloître de la basilique de la Madeleine à Vézelay, pour laquelle il choisit un style roman, ou encore le pignon de façade ouest des cuisines de la préfecture d’Auxerre. Ses différents chantiers attestent de sa bonne connaissance des méthodes de construction et des formes stylistiques des édifices médiévaux en Bourgogne dont il fait la synthèse. L’architecte s’inscrit dans une continuité historique des formes anciennes, mêlée aux innovations modernes.

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Façade orientale de l’ancien palais épiscopal d’Auxerre.

Une vision romantique de l’architecture…

« Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut ne jamais avoir existé à un moment donné. »

Telle était la conception de la restauration du patrimoine par Viollet-le-Duc. Cette définition toute personnelle de la discipline, qu’il a largement contribué à forger en France, ressort d’une vision romantique et rêvée de la période médiévale. Il préconise ainsi le respect de la matière et de la forme par l’imitation. La quête des techniques et des matériaux primitifs utilisés priment sur l’authenticité du monument. Ainsi, il n’hésita pas à refaire la statuaire de l’aile du cloître de la Madeleine à Vézelay en créant de toute pièce des œuvres pour lesquelles il s’inspira de vestiges trouvés un peu partout dans l’édifice ! Par ses recherches et expérimentations au plus près des vestiges, il tentait parfois de retrouver l’idée qui avait présidé aux plans originels dans l’esprit de son concepteur, même si ceux-ci n’ont jamais été mis à exécution. Dans certain cas, l’architecte n’hésite pas à avoir recours aux techniques modernes. Il a ainsi systématiquement remplacé les toitures de laves, dalles de pierres calcaires typiques très utilisées en Bourgogne pour le couvrement des charpentes, par des tuiles plates ou creuses. Il jugeait les laves trop lourdes et peu esthétiques. Il serait même à l’origine de l’introduction des tuiles canal, originaires du Midi de la France, dans l’Yonne ! Pour la restauration des parties sculptées, comme les chapiteaux de colonnes ou les moulures, il préférait souvent les déposer, c’est à dire les retirer de l’édifice, et les remplacer par des moulages, plutôt que de les consolider sur place. Ainsi, toutes les pièces déposées lors du chantier de Vézelay sont aujourd’hui visible au musée de l’Oeuvre Viollet-le-Duc à la basilique de la Madeleine.

A l’opposé du pragmatisme actuel

Si la théorie de la restauration du patrimoine lui doit encore beaucoup, aujourd’hui sa conception libre et intellectuelle de la discipline n’est plus partagée par les spécialistes. Viollet-le-Duc a même du essuyer de vives critiques de son vivant !La Charte de Venise, établie en 1964, qui fonde la déontologie moderne de la conservation et de la restauration des monuments et des sites, répond à la conception de Viollet-le-Duc par ces mots :

« La restauration s’arrête là où commence l’hypothèse. »

Aujourd’hui, la restauration se limite essentiellement à des réparations, des consolidations et des nettoyages. Les interventions sont minimalistes et cherchent à intervenir le moins possible sur l’aspect du monument ou de l’oeuvre. Par ailleurs, si Viollet-le-Duc cherchait à retrouver l’aspect d’origine du monument, il est aujourd’hui admis que les modifications, réparations et interventions subies au cours des siècles font partie intégrante de son passé, et témoignent d’une histoire en constante évolution.

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Portrait charge de Viollet-le-Duc, Eugène Giraud, 1860. Conservé à Paris, Bibliothèque Nationale de France. ©Photo BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF

Viollet-le-Duc architecte et dessinateur

Homme de talent et grand curieux, Viollet-le-Duc était aussi un dessinateur hors pair. Il a fait de nombreux dessins et esquisses lors de ses voyages en France et en Italie, laissant derrière lui une abondante production artistique beaucoup moins connue !Les paysages pyrénéens ont particulièrement retenu son attention. On peut y déceler toute la rigueur, la précision typographique et la finesse du trait de l’architecte.

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Cauterets, cascade au dessus du pont d’Espagne, Viollet-le-Duc, aquarelle, 1833. Conservé à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. ©Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / image Médiathèque du Patrimoine

Viollet-le-Duc fit l’objet, en 2014, de plusieurs rétrospectives et parutions d’ouvrages à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

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Le glacier des Bois et la vallée de Chamonix, aiguille du Dru, aiguille Verte, durant la période glaciaire, Viollet-le-Duc, aquarelle, crayon et gouache, août 1874. Conservé à Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. ©Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / image Médiathèque du Patrimoine

A lire : Arnaud Tombert, Restaurer et bâtir, Viollet-le-Duc en Bourgogne, Presses universitaires du Septentrion, 2013.

Jean-Baptiste Greuze, un peintre bourguignon en son musée

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L’Accordée de Village, Jean-Baptiste Greuze, 1761, peinture à l’huile sur toile, conservée au Musée du Louvre, Paris. © Hervé Lewandowski- Réunion des musées nationaux

Jean-Baptiste Greuze est un artiste bourguignon bien connu du XVIIIe siècle, né à Tournus (Saône-et-Loire) en 1725 et mort à Paris en 1805. Le Musée Greuze de Tournus, situé dans un ancien Hôtel-Dieu du XVIIe siècle, consacre plusieurs de ses salles aux œuvres du maître des lieux.

Un peintre de Tournus

Fils d’un couvreur, Jean-Baptiste Greuze montra très tôt un talent pour la peinture qui poussa son père à le placer en apprentissage dans l’atelier du peintre lyonnais Charles Grandon. Greuze y mit au point sa technique picturale mais ne put se forger un goût artistique précis à défaut d’oeuvre de maître à observer et à copier. Il poursuivit alors son apprentissage à Paris, à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, où il fut l’élève du célèbre Charles Joseph Natoire, Peintre du Roi.

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Autoportrait au chapeau, Jean-Baptiste Greuze, vers 1799, peinture à l’huile sur bois, conservée au musée Greuze, Tournus. ©Hôtel-Dieu / musée Greuze de Tournus

Portraitiste et peintre de genre

Jean-Baptiste Greuze fut rapidement reconnu dans trois genres picturaux différents : le portrait, les scènes de genre et les esquisses. En 1755 il exposa pour la première fois au Salon de Peinture de l’Académie et rencontra un vif succès grâce au tableau Un père de famille lisant la Bible à ses enfants, ainsi que plusieurs portraits. Son style s’affirma rapidement en opposition au style rococo du début du XVIIIe siècle, et aux frivolités des Fêtes Galantes peintes par Watteau, très prisées par la noblesse libertine de l’époque. Son travail s’inspirait plutôt de la littérature moralisatrice des Lumières, au moment ou Diderot et d’Alembert travaillaient à l’Encyclopédie, publiée à partir de 1751.

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La prière du matin, Jean-Baptiste Greuze, vers 1775, encre et mine de plomb sur papier, conservé au musée Greuze de Tournus. ©Hôtel-Dieu / musée Greuze de Tournus

En 1761, Greuze exposa pour la seconde fois au Salon. Son tableau, L’Accordée de Village, est aujourd’hui encore considéré comme son chef-d’oeuvre ! Relatant une noce villageoise, la scène décrit le moment où le père de famille donne la dot à son gendre. Ce tableau fut peint la même année où Jean-Jacques Rousseau prônait lui aussi une nouvelle éducation et le retour aux valeurs familiales dans son roman Julie ou la Nouvelle Héloïse. Greuze dépeint dans cette œuvre la vie d’une humble famille paysanne emprunte de bons sentiments. L’artiste semble inspiré par la manière des peintres Hollandais du XVIIe siècle. Comme eux, il est animé par le souci du détail et le goût pour la narration et l’anecdote, par ailleurs caractéristiques des scènes de genre. Greuze réalisa en tout plus d’une dizaine de scènes de genre dans la veine moralisatrice et sentimentaliste comme La Malédiction Paternelle, Le Fils Puni, ou encore Un Cultivateur remettant la charrue à son fils. Cette influence de la littérature moralisatrice lui valut le soutien indéfectible de Diderot dans ses comptes-rendus des Salons, rédigés et publiés de 1755 à 1771.

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L’Accordée de Village, Jean-Jacques Flipart d’après Jean-Bapiste Greuze, 1770, estampe sur papier, gravure à l’eau-forte et au burin, conservée au musée Greuze de Tournus. ©Hôtel-Dieu / musée Greuze de Tournus

Le soutien de Diderot

Diderot appréciait le retour au naturel des personnages des œuvres de Greuze et la fine observation de la nature humaine à travers les portraits que peignait l’artiste. Il faut dire que Greuze maîtrisait parfaitement son art, le dessin et la peinture, tel qu’on le concevait au XVIIIe siècle. Ses portraits sensibles témoignent d’une observation attentive des émotions humaines et font appel à une palette de gestes et d’expressions naturels et réalistes. Mais ses œuvres ne se limitent pas à leurs connotations moralisatrices ! Lorsqu’il peignait des portraits de femmes ou de jeunes filles, Greuze y ajoutait une touche de sensualité, épaules découvertes et gorges apparentes, suggérant parfois une certaine ambiguité comme dans La cruche à l’eau. Mais ce sont véritablement les études préalables à ses compositions qui témoignent de la grande liberté de trait de l’artiste, libéré, dans cet exercice plus personnel, du carcan académique !

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Etude de tête de jeune homme, Jean-Baptiste Greuze, XVIIIe siècle, encre et mine de plomb sur papier, conservée au musée Greuze de Tournus. ©Hôtel-Dieu / musée Greuze de Tournus

Le poids de l’Académie

Le Salon de l’Académie de Peinture et de Sculpture était le passage obligé pour tout artiste désireux de faire une carrière officielle et de vivre de son art. Institué en 1667, le Salon eut une grande influence sur la vie artistique jusqu’au XIXe siècle, où son conservatisme fut vivement critiqué. Un jury était en effet chargé de sélectionner les artistes et les œuvres jugés dignes de figurer dans la grande exposition annuelle du Salon. L’Académie classait les œuvres en fonction de la hiérarchie des genres picturaux qui guidait l’attribution des prix et récompenses. Ainsi la peinture d’Histoire était considérée comme la Grande Peinture, supérieure au portrait, à la scène de genre et au paysage. La nature morte occupait le bas du classement.

La grande déception

Fort de son succès au Salon, Greuze poursuivait l’objectif suprême d’être reconnu comme « Peintre d’histoire ». Il présenta en 1769 son « morceau de réception », une peinture à l’huile sur toile puisant son sujet dans l’antiquité romaine, intitulée Septime Sévère reprochant à son fils Caracalla d’avoir voulu l’assassiner. Le jury, probablement réticent suite à son succès populaire et freiné par sa forte personnalité, formula plusieurs reproches à son œuvre, et lui accorda seulement le titre de « Peintre de Scènes de Genre ». Vexé et injurié, Greuze se retira du Salon pendant plusieurs années.

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Etude pour Septime Sévère et Caracalla, Jean-Baptiste Greuze, 1767, peinture à l’huile sur toile, conservée au musée Greuze de Tournus. ©Hôtel-Dieu / musée Greuze de Tournus

La diffusion de son œuvre par la gravure

A partir des années 1770, Greuze vécut reclus et rejeta le monde de l’art. Il organisa avec brio la diffusion de son œuvre par d’autres canaux que les voies officielles, notamment en organisant des expositions dans son propre atelier, pratique nouvelle à cette période, et en annonçant ses créations par voie de presse. L’artiste fit également reproduire ses peintures et dessins par le biais de la gravure pour permettre leur large diffusion publique. Il sut exploiter les nouvelles techniques de gravures apparues au XVIIIe siècle pour accompagner le développement des ouvrages imprimés, notamment la lithographie (gravure sur pierre en couleur), qui permirent de diffuser les œuvres et les idées à grande échelle, et dans toute l’Europe.

Le musée de Tournus

Artiste reconnu de son temps, Greuze tomba dans l’oubli à la fin de sa carrière et pour plusieurs siècles. Peintre aujourd’hui redécouvert, de nombreuses de ses œuvres sont conservées dans les musées du monde entier. Le Musée Greuze de Tournus conserve lui aussi une belle collection composée de nombreuses gravures d’après ses œuvres, des études originales préparatoires à ses compositions, ainsi que deux autoportraits de l’artiste et quelques portraits. Le reste du musée est également à découvrir. L’Ancien Hôtel-Dieu des XVIIe et XVIIIe siècles a conservé deux salles des malades et une chapelle ainsi qu’une des plus anciennes apothicaireries de France ! Sur la place de la Mairie de Tournus vous pourrez également contempler la statue de Jean-Baptiste Greuze. Sculptée par l’artiste tournusien Benedict Rougelet (de son vrai nom Benoît), la statue a été érigée en 1868. Greuze, palette en main, est représenté en train de chercher l’inspiration.

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Monument statue de Jean-Baptiste Greuze, place Greuze devant l’hôtel de ville de Tournus, Benedict Rougelet, 1868.

Niki de Saint-Phalle au Grand Palais… et à Château-Chinon !

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Fontaine, Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle, Place de la Mairie à Château-Chinon, 1988. ©Fonds National d’Art Contemporain

Alors que l’artiste Niki de Saint-Phalle fait l’objet d’une rétrospective parisienne au Grand Palais à voir jusqu’au 2 février, intéressons-nous à sa fontaine-sculpture-mobile de Château-Chinon, dans le Morvan !

Une jeunesse chaotique

Niki de Saint-Phalle naît en 1930 à Neuilly-sur-Seine, mais c’est en Bourgogne qu’elle passe une partie de son enfance ! Fille d’un riche banquier issu de la noblesse française et d’une américaine de la haute bourgeoisie d’affaire, elle est envoyée dès sa naissance chez ses grands-parents suite au crack boursier de 1930 qui cause la ruine de sa famille. Elle passe les trois premières années de sa vie dans la Nièvre avant de rejoindre ses parents aux Etats-Unis. Commencent alors les longues années d’une jeunesse difficile au milieu d’une famille instable. Elle avouera plus tard avoir été violée par son père à l’âge de douze ans. Pour fuir le carcan familial et le puritanisme qu’elle juge hypocrite de la société américaine, Niki s’enfuit à 18 ans avec Hary Matheuws qu’elle épouse en 1949. Elle devient mannequin et fait la une de Vogue. Le couple s’installe à Paris en 1952. Ils ont deux enfants.

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Niki de Saint-Phalle en couverture du magazine Vogue en 1952

La thérapie par l’art

En 1953 Niki de Saint-Phalle fait une grave dépression. Pendant son hospitalisation, elle subi plusieurs électrochocs et découvre la thérapie par l’art. Diagnostiquée schizophrène, la peinture semble calmer ses angoisses. Elle décide de se consacrer à l’art, en autodidacte. Son œuvre hétéroclite sera d’abord composée d’assemblages d’objets divers (tissus, poupées, figurines, couteaux…). Elle se fait d’abord connaître par ses tableaux-cibles, têtes d’hommes qu’il faut viser aux fléchettes, puis par ses tirs dans les années 1960, tableaux de plâtre renfermant des poches de couleurs qui sont libérées par des tirs à la carabine. Elle entame ensuite une réflexion sur les femmes, mères dévorantes, prostituées, mariées ou mères accouchant, dans ses sculptures monumentales composées de résine, de tissus, de papier mâché et d’objets divers assemblés. C’est en voyant une amie enceinte qu’elle aurait composé sa première sculpture de Nana en papier mâché et laine qui marqua son oeuvre. A la fin des années 1960 elle crée ses premières architectures-sculptures, des structures habitables, des jeux d’enfants comme Dragon et Golem ou des jardins architecturés comme le Jardin des Tarots en Toscane. En 1972 elle réalise un film, Daddy, qui lui permet de se libérer de l’image paternelle qui la hante. Pour ses œuvres, elle s’inspire d’influences diverses, de sa propre biographie aux différentes civilisations qu’elle rencontre lors de ses voyages, de son imagination débordante aux grands maîtres de l’art.

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Niki de Saint-Phalle en pleine séance de tir le 26 juin 1961

Une artiste engagée

Ses œuvres se font l’écho des problématiques sociétales de son temps. Niki de Saint-Phalle est une artiste engagée qui défend de nombreuses causes. Féministe de la première heure avec ses Nanas joyeuses, puissantes, débridées et libres, elle défend la cause des femmes et plus largement des minorités oppressées. Elle soutient la cause des noirs, la lutte contre le racisme (série des Black vénus), et les malades du sida.

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Black Venus, Niki de Saint-Phalle, armature métallique, résine de polyester, 1965-1966. New York, Withney Museum of American Art.

Jean Tinguely et le groupe des Nouveaux Réalistes

En 1956, Niki de Saint-Phalle fait la rencontre de Jean Tinguely, artiste suisse bien connu pour ses sculptures mécaniques, assemblages abstraits d’objets résiduels mis en mouvement par des mécanismes bruyants et brinquebalants. Leur complicité artistique deviendra bientôt une complicité amoureuse. Ils se marient quelques années plus tard. Une véritable collaboration naît entre les deux artistes. Tinguely réalise les structures internes des premières Nanas. Grâce à lui, Niki découvre la vie artistique parisienne et intègre le groupe des Nouveaux Réalistes en 1961, composé entre autre par Yves Klein, César ou Daniel Spoerri. Ensemble, ces artistes tentent de s’opposer au mouvement abstrait alors en vogue et de se faire l’écho du monde contemporain. Loin de viser un art figuratif, les artistes du groupe tentent plutôt d’aboutir à un réalisme contemporain par le biais d’une nouvelle approche du réel. Symboles du consumérisme, le matériau commun et l’objet manufacturé seront au cœur de leurs créations et assemblages, à l’image des machines de Tinguely, des compressions de César ou des accumulations d’Arman.

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Signature de la Déclaration Constitutive du Nouveau Réalisme, 1960.

La Fontaine de Château-Chinon

C’est pour rendre hommage à la commune de Château-Chinon, chef lieu du Haut-Morvan, que François Mitterrand commanda une œuvre d’art publique. L’homme avait été élu maire de la ville en 1959 – il le restera vingt-deux ans – puis député et sénateur de la Nièvre. Mais c’est après son élection à la Présidence de la France qu’il offrira cette œuvre grandiose à la ville, en remerciement à son soutien. En 1987, François Mitterrand demande au Ministère de la Culture d’agir en faveur d’une commande publique. Le Centre National des Arts Plastiques (CNAP) passe alors un marché la même année avec les artistes Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle. L’oeuvre en dépôt à Château-Chinon est propriété de l’Etat et du CNAP.

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Détail de la Fontaine, Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely, 1987, Château-Chinon.

Une inauguration en grande pompe

Travail collaboratif de Jean Tinguely et de Niki de Saint-Phalle, la Fontaine de Château-Chinon est une œuvre unique ! Elle est inaugurée le 10 mars 1988 sur la place de la Mairie par François Mitterrand en personne qui actionne son mécanisme pour la mettre en marche ! Vidéo de l’inauguration de la Fontaine de Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely à Château-Chinon en 1988

Une œuvre conjointe

Les deux artistes ont mis leur force créatrice en commun pour concevoir cette œuvre unique et imposante. Jean Tinguely a réalisé les structures et les mécanismes internes, tandis que Niki de Saint-Phalle a créé les sculptures peintes. La Fontaine prend place dans un bassin de couleur noir. Huit sculptures sont réparties à l’intérieur du bassin, disposées selon les souhaits de Tinguely

« en unité démocratique, c’est-à-dire non monumentale, ne cherchant pas à dominer l’homme ».

Elles mesurent entre 65 centimètres et 1,35 mètres pour la plus grande. On y retrouve des éléments typiques du répertoire de Niki de Saint-Phalle. Une main se dresse vers le ciel, du bout des doigts jaillissent des jets d’eau. Un ballon, percé de trous, éclabousse. Un petit buste rose qui semble danser fait jaillir de l’eau de sa paume de main. Plusieurs autres personnages s’ajoutent à cette joyeuse farandole : un profil coloré, une grande tête rayée blanc et noir, un monstre aux dents acérées, une tête bleu souriante, et bien sûr une Nana jaune en maillot de bain dont les seins expulsent des jets d’eau. Le tout est actionné par un mécanisme grinçant et bruyant conçu par Jean Tinguely à partir de bout de ferrailles et autres matériaux de récupération, sauvés du rebut. Il donne vie à ces figures étranges, qui se déplacent et tournent selon un cycle prédéfini, issues tant du monde de l’enfance et du jeu que de l’univers du carnaval, et qui rappellent les danses joyeuses d’un certain Henri Matisse. L’oeuvre fait la synthèse entre deux mondes qui s’opposent : l’univers bruyant et métallique de Jean Tinguely, et la vision joyeuse et humoristique des figures de Niki.

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Détail de la Fontaine de Château-Chinon. Nana articulée de Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely.

« Mon moyen d’expression a lieu uniquement quand mes machines sont en mouvement. A l’arrêt, il y a non lieu »

précisait Jean Tinguely dans un croquis préparatoire à l’oeuvre. C’est pour cette raison qu’il a prévu de ralentir le débit de l’eau et des moteurs la nuit, lorsque la fontaine sera « seule et silencieuse ».

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Détails des sculptures de la Fontaine de Château-Chinon.

Les sœurs jumelles

Quelques autres fontaines des deux artistes sont connues dans le monde : la Fontaine de Berne installée en 1977, la Fontaine Jo Siffert à Fribourg en 1984 et la Fontaine Stravinsky à Paris, la sœur jumelle de celle de Château-Chinon ! Cette fontaine a été commandée en 1981 par Jacques Chirac, alors Maire de Paris, aux deux artistes pour orner la place Igor-Stravinsky. Elle prend place à côté du Centre Georges Pompidou qui abrite, entre autre, le Musée National d’Art Moderne et l’IRCAM, centre de recherche en musique contemporaine. La Fontaine rend donc hommage au compositeur du XXe siècle Stravinsky et à sa musique, incarnée par la danse des statues animées, et le bruit des mécanismes et des jets d’eau. Les deux artistes se sont d’ailleurs inspirés de plusieurs de ses compositions comme le Sacre du Printemps (1918), L’Oiseau de feu (1910), Ragtime (1918)… Certaines figures sont tout droit tirées de ces œuvres musicales comme la clé de sol, l’oiseau de feu, l’éléphant… Nul doute que la fontaine parisienne aura grandement inspiré les deux artistes pour leur œuvre de Château-Chinon !

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Fontaine Stravinsky, Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely, aluminium, acier, moteurs, polyester, fibres de verre, papier, 1983, Paris.

A voir

La rétrospective Niki de Saint-Phalle se tient au Grand Palais à Paris jusqu’au 2 févier. Outre la Fontaine, la ville de Château-Chinon abrite le musée du Septennat, installé dans un ancien couvent du XVIIIe siècle, qui conserve les cadeaux officiels et personnels reçus par François Mitterrand et offerts au département.

Les gougères, une pâtisserie d’entrée pour vos tables de fêtes !

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La gougère traditionnelle de Bourgogne, croustillante à l’extérieur et moelleuse à l’intérieur.

Les gougères sont une spécialité bourguignonne, peu connue dans les autres régions françaises ! Et pourtant cette « pâtisserie d’entrée », comme certains l’appellent, est la compagne fidèle des tastevinages (dégustations de vins) et autres apéritifs festifs en Bourgogne.

La gougère est-elle vraiment d’origine bourguignonne ?

La gougère est un petit chou à base de fromage, parfumé à la muscade. Son nom et ses ingrédients se rapprochent d’une spécialité flamande, la goyère. Cette pâte briochée traditionnelle recouverte de fromage se déguste encore dans le nord de la France où elle est souvent déclinée au Maroilles. Mais la légende de la gougère dit plutôt qu’elle aurait été créée par un pâtissier parisien, nommé Hénard, installé à Flogny-la-Chapelle (Yonne), qui aurait modifié le ramequin parisien, une pâtisserie très en vogue au XVIIIe siècle. Avec le temps, la différence entre gougère et ramequin se serait estompé, pour donner les petits amuse-bouche que l’on connait.

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Nature morte aux poissons avec légumes, gougères, pots et burettes sur une table, Jean-Siméon Chardin, 1769, huile sur toile. © The J. Paul Getty Museum, Londres.

Fond et forme

La gougère peut se présenter sous forme de couronne à découper, ou en petits choux individuels. C’est dégustées tièdes qu’elles sont les meilleures : croustillantes à l’extérieur et moelleuses à l’intérieur. Quelques ingrédients biens choisis sont nécessaires à leur fabrication : lait, beurre, farine, œufs, muscade, et bien sûr du gruyère ou du comté ! Les plus gourmands pourront décliner la recette traditionnelle pour réaliser des gougères fourrées aux escargots, foie gras, grattons, fromage de chèvre… Si la recette est assez simple, la réalisation des gougères nécessite cependant un certain tour de main…

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Les gougères, de petits choux au fromage.

Ingrédients pour 6 à 8 personnes : 25cl d’eau (ou de lait) 100g de beurre 150g de farine 4 œufs entiers + 1 jaune une pincée de sel poivre et muscade pour l’assaisonnement 150g de gruyère rappé ou de comté Préparation : Faites préchauffer le four à 200°c. Mettre dans une casserole l’eau ou le lait au choix, le beurre et le sel et porter à ébullition. Hors du feu, ajouter la farine d’un coup puis remuer vivement avec une cuillère en bois et faire dessécher la pâte obtenue sur feu doux, jusqu’à ce qu’elle ne colle plus aux parois. La pâte doit faire une boule. Laisser tiédir quelques minutes puis incorporer les quatre œufs un par un en mélangeant avec la cuillère en bois. Poivrer à votre goût. Ajouter le fromage rappé et un peu de muscade et mélanger pour obtenir une pâte homogène. Sur une plaque de cuisson beurrée ou sur du papier sulfurisé, disposer de petites boules de pâte espacées les unes des autres. Pour former les boules, vous pouvez utiliser une poche à douille ou deux petites cuillères. Dorer ensuite les boules de pâte avec le jaune d’oeuf. Enfourner 25 minutes environ à 170°c en surveillant la cuisson jusqu’à ce que les gougères soient bien dorées et gonflées. N’ouvrez pas la porte du four durant la cuisson, les petits choux pourraient retomber ! Servie avec un kir (crème de cassis et vin blanc Aligoté) ou avec un kir royal au champagne, la gougère accompagnera vos repas de fêtes ! Chaque année, au mois de mai, la fête de la gougère est célébrée à Flogny-la-Chapelle.

Bonne dégustation !

La belle tuile ! Coup d’oeil sur les toitures polychromes bourguignonnes

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Détail des toitures polychromes des Hospices de Beaune, Bourgogne.

Les toits couverts de tuiles vernissées ou glaçurées sont devenus l’un des emblèmes de la Bourgogne ! Pourtant on sait peu de choses à leur sujet. Retour sur l’origine et le développement des toitures polychromes en Bourgogne.

Une particularité Bourguignonne ?

Les toitures multicolores existent dans de nombreuses régions du monde ! L’Asie, l’Afrique du Nord et l’Europe ont eut le même souci de joindre l’utile à l’agréable en recouvrant les édifices de tuiles colorées. La Cité Interdite de Pékin, l’église Maatthias de Budapest ou encore la Grande Mosquée de Fès sont elles aussi couvertes de tuiles vernissées. Mais c’est peut-être parce que les toitures polychromes rappellent le chatoiement des vignes en automne qu’elle furent tôt considérées comme un emblème de la Bourgogne et un marqueur identitaire régional !

Une Bourgogne haute en couleur, inspirée d’influences extérieures…

Les toitures polychromes apparaissent en dehors de la Bourgogne. Les premières sont attestées en Île-de-France et en Normandie dès la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, avant de faire leur apparition en Bourgogne au siècle suivant. Le modèle se diffuse ensuite dans une vaste ère géographique concernant la Champagne, la Franche-Comté mais aussi la Suisse, les Flandres, et les terres en direction du Rhône. Précoce, le château de Tonnerre était déjà recouvert de tuiles vernissées dès 1295 à la demande de Marguerite de Bourgogne, belle sœur du roi Saint-Louis ! L’essor des tuiles glaçurées accompagne le développement de l’architecture gothique. L’Abbaye du Mont-Saint-Michel, mais aussi les cathédrales de Meaux, de Sens et d’Auxerre ont reçu à cette époque une toiture multicolore ! Si les édifices gothiques nous semblent aujourd’hui associés à la pureté et à la blancheur de la pierre, ils étaient à l’origine bien plus colorés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Vitraux, peintures murales, sculptures, mosaïques et même carreaux de sol répondaient à ce même goût pour l’architecture colorée.

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Le siège de Dijon par les Suisses en 1513, tapisserie flamande anonyme, après 1513. © Musée des Beaux Arts de Dijon

Il existe un grand nombre de formes de tuiles, de couleurs et même de motifs, mais les tuiles vernissées bourguignonnes traditionnelles sont rectangulaires et plates. Seul le pureau, partie non recouverte par une autre tuile et qui reçoit la pluie, était coloré, par souci d’économie. A partir du XIVe siècle les tuiles sont améliorées et standardisées grâce à un meilleur contrôle des techniques de production. En Bourgogne, le nez du pureau, le bord inférieur de la tuile, était chanfreiné, c’est-à-dire taillé en biseau, afin de supprimer les facteurs d’ombres et d’assurer une meilleure unité visuelle au décor de la toiture. Cela permettait par ailleurs d’en diminuer la prise au vent.

Production et fabrication des tuiles glaçurées

La maîtrise de nouvelles techniques de fabrication au XIIIe siècle a permis le développement des tuiles vernissées en France. La technique de la glaçure est déjà connue des romains qui l’appliquaient dès le Ier siècle sur des poteries culinaires. A partir du XIIIe siècle la glaçure est appliquée aux terres cuites architecturales (carreaux de sol et tuiles) et la production est réalisée en quantité plus importante. Les nombreuses tuileries qui se développèrent dès le Moyen Age en Bourgogne permirent d’assurer l’approvisionnement des nombreux chantiers, le sol argileux de la région favoriseant une fabrication locale. On trouvait ces fabriques principalement dans un triangle reliant Dijon, Nuits-Saint-Georges et Saint-Jean-de-Losne. Au XIVe siècle, les tuileries de Fontenay et de Montbard alimentaient par exemple le chantier du château des Ducs de Bourgogne à Montbard. Au XIXe siècle, les sites industriels de Saône-et-Loire prirent le relai (Montchanin, Ecuisses, Chalon-sur-Saône).

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Proposition de reconstitution de tuiles glacurées à motifs par Stéphane Berhault, Architecte du Patrimoine, extrait de « Les tuiles glaçurées médiévales », in Atrium Construction 13, Octobre-Novembre 2004

Les tuiles vernissées sont composées d’argile étalée dans des gabarits de bois. Elles sont ensuite démoulées. Le crochet de fixation est alors formé par le pouce de l’artisan ou par un outil pointu. Elles étaient ensuite séchées au soleil. C’est la raison pour laquelle il n’est pas rare de déceler sur le revers de certaines tuiles anciennes des traces de pattes de chat ! La glaçure colorée est obtenue par l’application d’un engobe à base d’argile, d’eau et d’oxydes métalliques qui révèlent leur couleur après cuisson au feu de bois à très haute température. Le cuivre permet d’obtenir une teinte verte, le fer du jaune, le manganèse une couleur brun-rouge et l’on peut également créer une coloration noire. La quadrichromie ainsi obtenue couvrit les toits de Bourgogne pendant plusieurs siècles avant que d’autres couleurs ne viennent enrichir la palette au XIXe siècle (rose, turquoise, jaune citron…). Les tuiles peuvent être monochromes, ou présenter des motifs complexes. Dans ce cas, les couleurs sont séparées les unes des autres par un léger sillon creusé à l’aide d’un outil pointu. Le Siège de Dijon par les Suisses, une tapisserie réalisée vers 1513 et conservée au Musée des Beaux Arts de Dijon témoigne de la variété des motifs qui recouvraient les toitures de la ville à cette époque. Cependant, les décors ainsi composés par les couvreurs de l’époque, de véritable puzzles à ciel ouvert, demeurent aujourd’hui un mystère car on en a conservé peu de traces !

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Détail des toitures polychromes de la ville, Le siège de Dijon par les Suisses en 1513. ©Musée des Beaux Arts de Dijon

Un marqueur de pouvoir et de prestige

Deux fois plus couteuses que des tuiles ordinaires, les tuiles glaçurées furent utilisées pour les monuments prestigieux et constituèrent un marqueur fort de pouvoir au cœur de la ville. Elle couvrirent d’abord les grandes cathédrales au XIIIe siècle puis s’étendirent aux résidences princières, aux propriétés bourgeoises urbaines et même à l’architecture hospitalière. La hiérarchisation des bâtiments au sein de complexes monumentaux se lisait donc d’un simple regard. Pour les parties les plus prestigieuses, l’ardoise s’imposait, introduite en Bourgogne par le Duc Philippe le Hardi au XIVe siècle. Les parties recouvertes de tuiles vernissées étaient celles que l’on souhaitait mettre en valeur au sein d’un ensemble architectural (cloître, pavillon d’entrée, tour, tourelle d’escalier). Le reste était recouvert de tuiles ordinaires, encore cinq fois plus chères qu’un toit en bardeaux de bois ou en chaume, réservé aux édifices plus modestes.

Oubli et redécouverte des tuiles vernissées

L’apogée des toitures polychromes fut atteinte en Bourgogne aux XVIe et XVIIe siècles, avant de tomber dans l’oubli. A partir de 1850, sous l’impulsion des premiers architectes des Monuments Historiques qui parcouraient la France pour en inventorier les richesses, les tuiles polychromes furent redécouvertes à l’aune des restaurations d’édifices anciens et dès lors érigées en symbole régional ! De 1860 à 1930 le mouvement européen de l’Art Nouveau les remis au goût du jour ! Les tuiles vernissées acquirent alors leur renommée grâce au développement du tourisme au début du XXe siècle. Reconnues comme élément du patrimoine régional depuis les années 1980, les toitures polychromes de Bourgogne font aujourd’hui l’objet de programmes de recherches et de restaurations. Malgré cela, de nombreuses toitures polychromes ont disparues au cours des siècles sous l’effet des réparation fréquentes. Les tuiles vernissées, très couteuses, furent souvent remplacées par des tuiles ordinaires, comme sur les toits de la Cathédrale Saint-Etienne d’Auxerre,  sur lesquels on peut encore observer des restes de tuiles vernissées ! La Bourgogne médiévale devait présenter un visage bien coloré !

Quelques toits célèbres

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Les toits multicolores de la cour d’honneur des Hospices de l’Hotel-Dieu à Beaune

Les hospices de Beaune

S’il y a bien une toiture emblématique de la Bourgogne, c’est celle des Hospices de Beaune ! Fondé par Nicolas Rolin, chancelier du Duc de Bourgogne Philippe le Bon, et son épouse Guigone de Salins en 1443, cet établissement charitable accueillait les pauvres et les malades, nombreux en cette fin de Guerre de Cent ans ! Dirigés par des sœurs, et dotés des revenus des salins et des vignes auxquels s’ajoutèrent de nombreux dons, les Hospices de Beaune furent qualifiés de « Palais pour les pôvres ». Les bâtiments aux façades gothiques entourant la cour d’honneur sont couverts de tuiles vernissées en motif de losanges du plus bel effet. L’ensemble architectural a fait l’objet de plusieurs chantiers de restaurations, notamment au XIXe siècle par le neveu de Viollet-le-Duc et entre 1900 et 1905.

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Le Château de La Rochepot en Côte-d’Or

Le Château de la Rochepot

Situé en Côte-d’Or, le château de la Rochepot se dresse au sommet d’un piton rocheux, tout près des ruines d’un ancien château fort du XIIe siècle. Edifié à partir du XIIIe siècle, il fut achevé par Philippe Pot au XVe siècle, Chevalier de la Toison d’Or et conseiller du Duc de Bourgogne. Depuis cette année, il est classé Monument Historique ! Sa très belle toiture polychrome a été restaurée, comme le reste de l’édifice, par le Colonel Sadi Carnot au début du XXe siècle.

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Les tuiles vernissées du Palais Synodal à Sens

Le Palais synodal de Sens

A Sens comme à Auxerre, des études ont montré la présence de vestiges de tuiles vernissées sur les toitures remaniées de nombreuses fois. Le palais Synodal du XIIIe siècle qui jouxte la cathédrale en est encore doté ! Il a servi de résidence aux évêques jusqu’en 1905. Au XIXe siècle il a fait l’objet de restaurations par Eugène Viollet-le-Duc qui a recréé sa toiture polychrome dans la plus pure tradition bourguignonne ! Aujourd’hui encore, plusieurs tuileries fabriquent les traditionnelles tuiles vernissées !