Les origines de cette magnifique statuette antique, retrouvée en 1907 dans les réserves du Musée d’Auxerre, sont mystérieuses. Totalement anonyme à cette époque, elle est aujourd’hui l’une des œuvres antiques les plus connues au monde, et la parfaite représentation du style dédalique qui marque le renouveau de la statuaire grecque au VIIè siècle avant Jésus-Christ. Son séjour de quatorze années dans les réserves du Musée d’Auxerre lui valut son surnom. C’est pourtant en Crète vers 640-620 avant Jésus-Christ que cette œuvre aurait été sculptée. Retour sur l’histoire rocambolesque de la Dame d’Auxerre, qui n’a de bourguignon que le nom !
Une origine mystérieuse
L’histoire de cette statuette fut riche en rebondissements, et ce n’est qu’au prix d’une longue enquête historique et archéologique menée ces dernières années qu’elle s’éclaircit ! Tout commence en 1907 lorsque Maxime Collignon, grand professeur d’archéologie grecque à la Sorbonne, découvrit cette bien étrange statue lors d’une visite au Musée d’Auxerre. Elle était alors entreposée dans le vestibule et son style dénotait avec les autres vestiges archéologiques présentés, provenant de sites locaux. Intrigué, le professeur chercha sa provenance dans les archives et les registres du musée, en vain. La statue portait bien un numéro d’identification sur son socle, le 285, mais qui ne semblait pas avoir été apposé à Auxerre. De folles rumeurs commencèrent à voir le jour à son sujet. Ce n’est que bien plus tard que l’on retrouva la trace de cette statuette dans la vente de la collection parisienne du sculpteur Edouard Bourguin qui eut lieu en 1895 à Saint-Bris-le-Vineux, près d’Auxerre. L’artiste passa la fin de sa vie en Bourgogne. A son décès, en 1894, il laissa à sa femme « la maison rose » à Saint-Bris et sa collection.
Un décor de théâtre plus vrai que nature
La statuette fut achetée lors de la vente par un dénommé Louis David, crieur du commissaire-priseur et concierge du théâtre municipal d’Auxerre, pour la modique somme d’un franc ! Il utilisa l’œuvre à maintes reprises comme décor d’opérette, notamment dans Galathée de Victor Massé, dont l’intrigue se joue dans l’atelier de Pygmalion ! Lassé de la voir, il la remisa dans une valise pour la jeter. L’œuvre fut sauvée de justesse et déposée au musée d’Auxerre. Le gardien, encombré par « ce caillou cassé » l’entreposa dans le vestibule, sans même l’enregistrer !
Échange de bons procédés
L’histoire continue puisque la Dame d’Auxerre quitta la Bourgogne en 1909, deux années après sa redécouverte. Elle fut déposée au musée du Louvre par M. Fourquaux, employé de la mairie d’Auxerre. Là-bas, elle y subit une restauration avant d’être exposée. Un décret du 3 juin 1909 précise que :
« le tableau de M. Harpignies Torrent dans le var du Musée National du Luxembourg est attribué en dépôt au Musée d’Auxerre en compensation d’une statuette primitive d’origine grecque affectée au Musée National du Louvre ».
Le musée du Louvre, où la Dame d’Auxerre est aujourd’hui conservée, et le musée d’Auxerre ont donc échangé les deux œuvres ! Il faut dire que le peintre Harpignies, un peu oublié aujourd’hui, est à ce moment là au sommet de sa gloire. L’artiste, encore vivant à cette période, avait de nombreuses attaches à Auxerre, avait demeuré à Bléneau, et mourut à Saint-Privé. Plusieurs fois médaillé aux Expositions universelles, il était spécialiste de la peinture de paysage dans une veine naturaliste et était surnommé le « Michel Ange des arbres » ! De plus, son tableau Torrent dans le Var, acheté par l’Etat au Salon de 1888, valait alors plus de six fois le prix de la statuette. Un échange qui peut paraître aujourd’hui regrettable pour le musée d’Auxerre !
Une statuette féminine
La statuette féminine appelée Dame d’Auxerre est une sculpture en calcaire. Elle mesure vingt-cinq centimètres de haut et repose sur une plinthe irrégulière de dix centimètres. Elle se tient debout, droite et frontale, la tête dans l’alignement du corps. Son bras gauche est plaqué le long de sa cuisse tandis que son bras droit est replié sur sa poitrine. Sa lourde chevelure étagée est inspirée des perruques égyptiennes et cinq mèches « parotides » reposent sur chaque épaule. Son visage en U laisse pointer un léger sourire. Elle est vêtue d’une robe fourreau serrée à la taille par une large ceinture, et ses épaules sont couvertes par une pèlerine. Le tout est décoré de motifs incisés : méandres au col, écailles sur le bustier et rectangles emboîtés au bas de la jupe, sans oublier quelques bracelets aux poignets. Le décor a perdu de son unité suite à l’effacement des couleurs qui la recouvraient, rendant difficile l’interprétation exacte des vêtements. Probablement enfouie durant une longue période, la statuette a également perdu une partie de son visage.
Une interprétation difficile
En l’absence d’information sur le contexte archéologique de sa découverte et de sa provenance, les archéologues ont du prêter attention au style et aux techniques employés pour identifier et dater l’œuvre. Ainsi on ne sait pas si elle ornait un sanctuaire, auquel cas elle pourrait représenter une divinité, ou simplement incarner une défunte si elle se trouvait dans une tombe ! On a même soupçonné la statuette d’être une copie du XIXè siècle, hypothèse aujourd’hui fermement rejetée !
Les archéologues ont donc procédé par comparaisons. Le geste du bras replié sur la poitrine a ainsi été emprunté aux images syro-phéniciennes des déesses nues montrant leurs attributs sexuels. Il a ici été adapté à la création d’un nouveau type de représentation féminine habillée qui naît au VIIè siècle avant Jésus-Christ en Grèce : la corè. Son pendant, les statues de jeunes hommes nus, présentés eux aussi de manière frontale, un pied en avant, sont appelés kouroi. A eux deux, ils constituent la base de la statuaire grecque de la période archaïque (650 – vers 460). Les sculpteurs grec du VIIè siècle avant J.C. se sont donc nourris d’influences diverses, principalement venues d’orient et d’Égypte, pour élaborer un style répondant aux traditions locales, appelé aujourd’hui style archaïque.
Une œuvre dédalique
La Dame d’Auxerre est représentative du style dédalique qui s’inscrit dans ce courant archaïque, et qui marque le renouveau de la sculpture sur pierre dans le monde grec dès le milieu du VIIè siècle avant notre ère. Le style se caractérise par la stricte frontalité des personnages, le visage en U et la lourde chevelure étagée divisée en mèches. L’expression d’ « art dédalique » a été utilisée pour la première fois en 1909 mais s’est véritablement imposée en 1936 avec la parution de l’ouvrage Dedalica dans lequel Jenkins classifie les œuvres de cette période en fonction d’une chronologie des formes qu’il établit avec une précision quelque peu illusoire! Cependant, sa démarche s’inscrit dans l’esprit positiviste de l’époque. En procédant par comparaisons entre les œuvres, les historiens et les archéologues établissent une chronologie basée sur la notion de progrès permanent des arts, prenant naissance avec des formes archaïques simples et allant vers une complexification permanente grâce aux progrès de la technique. Ces théories sont aujourd’hui encore en vigueur, mais avec davantage de nuances, en tenant compte notamment des contextes de production des objets (social, politique, historique…).
Dédale, inventeur mythique de la sculpture
Le mot dédalique vient du mythique Dédale, dont le nom signifie artisan. Ingénieur crétois, inventeur du fameux labyrinthe habité par le Minotaure, Dédale aurait eu le premier l’idée de détacher les jambes et les bras de ses sculptures, rompant avec les anciennes statues monolithiques. Il aurait ainsi insufflé la vie dans ses créations !
En affinant davantage les recherches, les archéologues ont finalement remarqué que le style dédalique n’était pas uniforme, mais marqué par des caractéristiques régionales ! Des fouilles sur l’antique cité d’Eleutherne, au Nord de la Crète, ont ainsi mis au jour des statues comparables à la Dame d’Auxerre qui aurait donc fait un bien long voyage, entre Eleutherne et Paris, en passant par la Bourgogne !
La Dame d’Auxerre est aujourd’hui visible dans la section des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre à Paris.