Improvisation Tellem, une oeuvre rugueuse sur le campus de Dijon !

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Improvisation Tellem, Alain Kirili, 2000, quatorze blocs de pierre de Corton, Carrières de Nuits Saint-Georges, 5×2,80x7m, 153 tonnes, Esplanade Erasme, Campus de l’Université de Dijon, dépôt du Ministère de la Culture et de la Communication.

Le campus de l’Université de Dijon recèle quelques pépites, des œuvres d’art contemporain offertes à la vue des passants dans l’espace public. Le sculpteur français Alain Kirili a produit l’une d’entre elles : Improvisation Tellem.

Des quotas pour l’art contemporain

La sculpture monumentale d’Alain Kirili a été installée dans le cadre du 1% artistique sur l’esplanade Erasme du campus de l’Université de Dijon. Cette loi de 1951 entraîne l’obligation de décoration des constructions publiques. Un pour cent du budget de construction ou de rénovation d’un édifice doit être consacré à une commande d’œuvre d’art passée à un artiste vivant, et spécifiquement conçue pour le lieu. Ce dispositif vise à soutenir la création et à sensibiliser le grand public à l’art contemporain. Mais la rencontre n’est pas toujours aisée, et la compréhension parfois difficile entre le public et l’œuvre.

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Improvisation Tellem, Alain Kirili. © Vincent Arbelet

Tellem, une œuvre d’art ?

Improvisation Tellem est la preuve du dialogue parfois interrompu entre l’art et la rue. Cette sculpture monumentale prend place sur le campus de Dijon, devant la faculté de Droit et Lettres. Elle réunit en cercle sept volumes composés de deux blocs de pierre quadrangulaires érigés verticalement, l’un servant de socle à l’autre. Mais ce n’est pas la première œuvre que l’artiste réalisa pour le campus… En 1992 il avait été invité à produire une première sculpture monumentale intitulée Hommage à Max Roach, Calvaire. Composée elle aussi de blocs de pierre de Bourgogne, l’œuvre fut démontée en 1999 pour cause de travaux. Gênant l’avancement du chantier, la sculpture, probablement considérée par les entrepreneurs comme de simples blocs de pierre, fut détruite au bulldozer. Il faut dire que disposer une telle œuvre dans l’espace public est un défi. Loin des vitrines muséale elle doit résister seule aux vicissitudes du climat et affronter les tagueurs. Une bonne médiation s’impose donc pour dévoiler aux passants ses trésors cachés. Et Kirili se remit au travail pour proposer une nouvelle œuvre.

Kirili, un artiste multiple

Alain Kirili est un sculpteur français né à Paris en 1946. A 19 ans il fit son premier voyage aux États-Unis et découvrit l’art américain. Il se passionna pour l’Expressionnisme abstrait et particulièrement pour les œuvres de Barnett Newman. Kirili développa alors une sculpture abstraite basée sur la verticalité. Son travail, à l’opposé du conceptualisme ambiant, repose sur la sensualité des matériaux qui incarnent pour lui les origines de la vie et de l’art. Il travaille en effet des matériaux traditionnels tels que le métal, la pierre et le bois et utilise des méthodes ancestrales comme la taille directe ou le modelage. Par son travail, il tente de renouer avec les fondements de l’art. Le geste de l’empilement en est l’une des bases. Très inspiré par ses nombreux voyages dans le monde, notamment en Inde et en Afrique, Kirili est un artiste profondément humaniste. Depuis les années 1980 il réalise des œuvres monumentales conçues pour l’espace public. Loin d’impressionner et d’écraser le spectateur, ses œuvres invitent à la déambulation, à l’exploration et au toucher, et constituent de véritables lieux de vie et de rencontre entre les gens, les peuples et les arts…

Étymologie d’une œuvre

Improvisation Tellem est elle aussi conçue comme un lieu de rencontre et d’échange offrant une pause méditative sur le campus de l’Université de Dijon. Nombreux sont les étudiants qui vienne s’y reposer, lire ou discuter à l’ombre des blocs de pierre dès les beaux jours venus.

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Architecture traditionnelle Tellem et Dogon, Falaises du Bandiagara, Pays Dogon, Mali.

Alors que l’œuvre paraît hermétique au premier abord, dressant ses blocs de pierre brut, elle est riche de multiples références ! Son titre nous donne quelques pistes de compréhension. « Tellem » par exemple est un peuple ancestral du Mali vivant dans les falaises du Bandiagara, un vaste paysage culturel regroupant 289 villages sur 200 kilomètres de falaises, de plateaux gréseux et de plaines. Le site est aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO tant pour son paysage exceptionnel que pour ses traditions culturelles. Site défensif par excellence, les premières traces d’occupation de ces falaises remontent au IIIè siècle avant Jésus-Christ, mais c’est probablement au XIè siècle que le peuple Tellem s’y installa. Leurs habitations, reconnaissables à leur architecture géométrique rappelant les blocs de pierre de Kirili, épousaient parfaitement le relief naturel, et furent bâties à flanc de falaise. Chassés au XVè siècle par l’arrivée du peuple Dogon, les Tellem se retirèrent. Leurs habitations furent réutilisées par leurs envahisseurs et transformées le plus souvent en cimetière. Kirili s’en inspira pour dresser ses blocs de pierre immenses comme des totems et évoquant tout un monde des origines, où les traditions, la danse, les chants et les rencontres étaient au centre de la vie des peuples.

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Architecture Tellem et Dogon, Falaises du Bandiagara, Mali.

Musique s’il vous plaît !

Alain Kirili, comme le peintre russe du début du XXè siècle Vassily Kandinsky, établit dans ses œuvres de multiples correspondances et nourrit un dialogue entre art et musique. En considérant l’œuvre d’art comme un tout, il saisit l’occasion de proposer une expérience totale mêlant plusieurs sens. Outre la vue et le toucher, propres à l’art de la sculpture, Kirili sollicite également l’ouïe. L’artiste associe en effet très souvent la musique à ses œuvres dans des performances musicales et dansées. La sculpture détruite Hommage à Max Roach, Calvaire était déjà dédiée à la mémoire d’un grand musicien de jazz américain !

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Résistance, Alain Kirili, Grenoble. Danse5, chorégraphie de Jean-Claude Gallota interprété par les élèves du Conservatoire Régional. © Ariane Lopez-Huici.

Kirili tisse des liens entres ses œuvres et la musique Jazz, caractérisée par la légèreté et les improvisations des partitions ouvertes. Guidés par leur instrument et par le hasard, les musiciens de free jazz ont inspiré à l’artiste sa méthode qui allie monumentalité et spontanéité du geste artistique. Une prouesse en somme qui confère à ses œuvres une impression de jaillissement. Ses compositions ne sont pas définies à l’avance. Le bras de la grue qui dépose ses blocs de pierre sur le sol agit comme la continuité de sa propre main. Il appelle cette méthode de création le « dripping monumental » puisqu’il laisse choir sur le sol des blocs de pierre de plusieurs tonnes, comme Jackson Pollock laissait goutter directement sur la toile la peinture du pinceau ! Le titre de l’œuvre fait également écho au concert de Jérôme Bourdellon, « Improvisation du souffle et de la pierre ». La forme syncopée des blocs de pierre n’est pas sans rappeler le rythme effréné de la musique jazz.

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Jackson Pollock dans son atelier en pleine création d’une oeuvre par la méthode du « dripping » dont il est l’inventeur.

« Une abstraction incarnée » par le Corton Rose de Bourgogne

La relation charnelle qui s’établit à l’œuvre est facilitée par la sensualité du matériau utilisé : la pierre de Bourgogne. Il s’agit plus précisément de la Corton rose, une pierre provenant des carrières de Nuits-Saint-Georges en Côte-d’Or, de couleur beige rosé et qui rappelle la couleur de la chair. L’artiste l’a choisie pour sa capacité à susciter l’empathie du spectateur et l’utilise dans ses œuvres monumentales comme Hommage à Charlie Parker, installée Avenue de France à Paris ou Résistance à Grenoble depuis 2011. Kirili revendique la « simplicité organique » de ses sculptures monumentales dans un désir de renouer avec les fondements de l’humanité et de ne pas céder aux sirènes du kitsch. Les trois œuvres participent d’une même écriture dont le module de base serait le bloc de pierre rose de Bourgogne tantôt brut et rugueux, tantôt taillé et lisse, jouant sur les effets de matière. L’utilisation de ce matériau évoque d’ailleurs à l’artiste une certaine sensualité, une volupté voire une ivresse, à l’image du vin de Bourgogne auquel elle donne son goût minéral.

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Hommage à Charlie Parker, Alain Kirili, 2007, pierre de Bourgogne, 3x15x12m, Paris 13è. © Lecat_EosN-6531

« Ce qui me touche, et que je revendique avec fierté, c’est la relation du minéral, de la pierre, avec le vin. […] Je dois dire aussi que j’ai pris conscience avec ma sculpture pour Grenoble que non seulement le Rose de Bourgogne est charnel, mais il donne aussi son goût minéral au vin. Ce terroir, qui en Bourgogne s’appelle un “climat”, me permet de dire que je bois le vin de la pierre de ma sculpture. »

Les œuvres d’Alain Kirili sollicitent les sens. En puisant ses matériaux, ses techniques et ses thèmes aux fondements de l’humanité, Kirili parvient à créer un art charnel et organique qui renoue avec la vie !

Un commentaire sur “Improvisation Tellem, une oeuvre rugueuse sur le campus de Dijon !

  1. merci pour ces explications qui permettent effectivement de mieux apprécier la signification de cette sculpture monumentale avec la référence faite aux habitations maliennes

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